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Les différents niveaux d’apprentissage du vélo

« Savoir faire du vélo » ne veut pas dire grand chose, à moins qu’on parle d’un enfant de 4 ans. De la pratique loisirs dans un parc à un usage utilitaire, la mobilité à vélo est un apprentissage progressif. Mieux comprendre cette progression permettrait à davantage de personnes de changer de moyen de transport.

Dans toutes les têtes, dans tous les discours, la même image d’Epinal revient. « Apprendre à faire du vélo », ce serait essentiellement savoir comment pédaler sans tomber. Un passage douloureux pour des générations jusqu’à l’arrivée récente de la draisienne pour les enfants. Ce moment difficile et exaltant des premiers coups de pédale écrase la plupart des autres souvenirs liés à l’apprentissage du déplacement à vélo. En dehors parfois d’un parcours avec la police dans la cour d’école. Ou d’une descente à la campagne qui nous aura valu une belle chute, une petite cicatrice et des idées pas tout à fait justes sur le bon usage d’un vélo.

Quand on est cycliste du quotidien, on a souvent le sentiment de ne jamais avoir vraiment appris à se déplacer à vélo. On a du mal à lister ce qu’il faudrait transmettre à d’autres pour qu’ils et elles se projettent aussi dans un usage utilitaire du vélo. Au final, on met souvent ça exclusivement sur le compte de la volonté ou du manque d’aménagements. Et quand on demande aux gens s’ils souhaiteraient prendre des cours, la proposition reste vague voire un peu saugrenue, même si l’appréhension reste bien réelle, et la marge de progression aussi !

« Il ne faut surtout pas freiner du frein avant sinon on va faire un soleil. » C’est toujours touchant quand un·e adulte  nous ressort cette erreur qui date de son enfance. On voit sur son vélo qu’il ou elle respecte à la lettre ce (mauvais) conseil : les patins de son frein avant sont intacts ! Dans notre activité d’éducateur mobilité vélo, on croise aussi très régulièrement des personnes qui nous avouent ne jamais utiliser les vitesses, en dehors des montées. Avec les redémarrages difficiles que cela peut provoquer, on comprend mieux certains évitements d’arrêt.

Il est possible se débrouiller avec cette connaissance limitée des bases de l’usage d’un vélo parce qu’on l’utilise juste sur la voie verte ou au parc. Le « vélo électrique » peut aussi compenser les méconnaissances, au prix d’une usure accélérée et d’un risque de chute aggravé. Ou alors on ne prend le vélo que les jours de beau temps. Le plus souvent, on va restreindre sa pratique en fonction des capacités qu’on se reconnaît. Et ne pas percevoir qu’avec un peu d’aide et quelques conseils, on peut facilement améliorer son niveau.

Les personnes pour lesquelles un peu de formation lèverait de nombreux freins se dirigent encore rarement vers une « vélo-école ». Il est difficile de saisir que des cours de vélo pourraient être adaptés à notre niveau, et surtout nous aider à le prendre plus régulièrement ou améliorer la taille de notre sourire à l’arrivée.

La formation, un levier quel que soit son niveau

Pour se projeter dans un usage utilitaire du vélo, on a pourtant besoin de mobiliser toute une série de compétences. Chez les cyclistes du quotidien, elles ont généralement été acquises sur le tas, au fil d’années de sorties vélo de loisirs ou sportives, le weekend ou en vacances, dans un contexte avec moins de contraintes horaires, vestimentaires, de trafic. Les cours permettent aux adultes de rattraper ces années de pratique, et pour les plus jeunes d’accélérer le processus.

Grâce au Savoir rouler à vélo, une génération d’enfants devrait maîtriser le vélo et avoir de bonnes connaissances de base pour se déplacer. La formation va leur permettre d’être en confiance plus rapidement pour passer au vélo, ou de limiter les erreurs graves. Ce programme permet aussi de diminuer l’appréhension des parents, même si l’autonomie n’est pas encore acquise.

Eux aussi pourraient en bénéficier. Les séances théoriques puis en circulation avec un moniteur ou une monitrice font en effet fortement baisser le sentiment d’insécurité, que l’on soit un·e cycliste débutant·e ou déjà habitué·e, un enfant ou un adulte. C’est ce que nous apprend la très riche enquête « Way too much » de Pro Velo Belgique auprès de 200 personnes. La formation aiderait 65% des adultes débutant·es à utiliser davantage leur vélo.

Les compétences à vélo ont été identifiées comme un point saillant dans l’enquête « Comportements cyclistes » de l’université Gustave Eiffel parue en 2022. Elle pointe notamment l’enjeu de la formation des nouveaux cyclistes pour limiter l’accidentologie, aux côtés d’autres politiques publiques pour faciliter les déplacements à vélo. Mais l’enquête de Pro Velo montre un autre enseignement majeur : la formation théorique puis pratique augmenterait aussi la sérénité de personnes déjà cyclistes.

Définir une gradation dans l’apprentissage de la mobilité vélo permet de mieux comprendre l’usage du vélo selon les différents publics, et des modules d’apprentissage adaptés. En voici une tentative, qui s’inspire des différents programmes de formation, pour adultes ou pour les enfants. Le niveau le plus élevé serait ici de se déplacer en assurant la sécurité d’un enfant qui circule sur son propre vélo (qui correspond aux formations « Ma Famille à vélo »).

 

 

Des inégalités sociales déterminantes

Dans le cadre du Défi « A l’école j’y vais à vélo ou à trottinette », nous avons soumis une nouvelle enquête aux parents des élèves participants. Plus de 800 d’entre eux ont répondu. L’enquête comportait pour la première fois une question sur leur confort ou inconfort financier (selon une formulation utilisée en sciences sociales). Elle souligne des inégalités sociales déterminantes pour toutes les questions relatives au vélo. Ainsi, l’aisance financière joue sur la possession de vélos enfants ou adultes, la capacité à les entretenir, mais aussi leur confiance à vélo pour se projeter dans un usage utilitaire à vélo, a fortiori aux côtés de leur enfant. Au final, c’est leur envie de pratique qui est impacté, leur « vouloir rouler ».

Les différents niveaux proposés dans cette enquête correspondent chacun à des formations spécifiques proposées à la Maison du Vélo Lyon. Des premiers coups de pédale ou cours de niveau 1 de la vélo-école adulte à la capacité d’encadrer des enfants sur la chaussée quand c’est nécessaire. Alors que le Savoir rouler à vélo se déploie, on voit bien tout l’enjeu de prendre en compte le niveau de confiance des parents, afin qu’un maximum de parents puissent accompagner l’apprentissage de leur enfant. Cette progression peut se faire sur les 3 grands domaines d’apprentissage : la maniabilité, la maîtrise des règles et la connaissance des bonnes pratiques. Elle est pratiquement sans fin, on continue toujours d’apprendre au cours de sa « carrière de cycliste ».

Comme on peut le voir dans ce graphique, les compétences à vélo qui permettent de se projeter dans une activité vélo en famille ou de se déplacer dans un cadre utilitaire sont très inégalement réparties dans la société, à territoire égal. On peut supposer que les usages de loisirs ou sportifs contribuent préalablement à cette formation et sont ensuite  remobilisés dans un cadre utilitaire. Cela participe probablement aux importantes inégalités d’usages entre les différentes catégories sociales, comme le rappelle l’Insee dans sa dernière enquête sur la mobilité des personnes.

 

C’est ce que nous tenterons d’approfondir en 2024 avec un·e étudiant·e stagiaire à la Maison du Vélo, encadré·e par un professeur et un chercheur spécialiste du sujet. Notre candidature a été retenue dans le cadre d’un appel à projet de la Boutique des Sciences, la structure de sciences participatives et citoyennes de l’université Lyon 2.

Un levier complémentaire des aménagements

Pour rendre accessible le vélo au plus grand nombre, on a autant besoin d’aménagements que de formation et d’encouragement à la pratique. Il ne s’agit pas de remplacer la nécessaire sécurisation de la chaussée, la diminution du trafic automobile, par une éducation véhiculaire des cyclistes. Mais de prendre en compte sérieusement la complémentarité du levier de l’apprentissage, quel que soit le niveau de départ. Il permet la réduction de l’accidentologie et l’amélioration de la cohabitation avec les autres usagers, en particulier les plus fragiles. Mais surtout, à un moment où on a tant besoin de transformer nos modes de déplacement, la formation favorise un accès plus égalitaire à la mobilité à vélo, moins angoissant, davantage plaisant.

 

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